La dernière conversation que tu as eu avec ton petit-ami te trotte comme jamais. En effet, sans que tu comprennes vraiment d’où tout cela venait, alors que vous étiez en train de vous bouffer le nez, il t’a soudainement demandée en mariage. Certaines filles auraient fondues comme neige au soleil, mais toi non. Qu’est-ce que tu as fait ? Tu t’es énervée. Et bien comme il faut, tu l’as engueulé comme du poisson pourri. Et c’est alors qu’il a dû partir au travailler, vous laissant dans un flou des plus total. Paniquée à l’idée qu’il puisse te quitter, tu t’es assise sur le divan de votre appartement, ramené tes genoux sous ton menton, ne pouvant t’empêcher de ressasser cette conversation que tu juges atroce. Parce qu’elle l’est. Tu n’as qu’une seule trouille, c’est qu’avec ton sale caractère tu es mis fin à tout ce bonheur auquel tu étais accro. Et sans vraiment savoir pourquoi, peut-être pour t’enfoncer encore plus, tu cours dans votre chambre et récupère ton carnet où tu notes tout ce qu’il se passe dans ta vie afin d’être sûre de te souvenir de tout, et de ne pas manquer des bouts essentiels.

Les premières pages relatent comment toute ta vie a basculé, pourquoi tu as été obligée de commencer ce fichu carnet à la base. En effet, tu reconnais ton écriture d’enfant de douze ans qui raconte comment elle vient de perdre ses parents. Tu racontes tout ce dont tu te souviens du cambriolage, comment tu t’es sentie lorsque tu as pris ce coup de batte de baseball sur la tête. Tu racontes tous les petits détails dont tu te souvenais à l’époque, à savoir le visage horrifié de ta mère, ton père qui n’a rien vu venir. Toutefois, c’est les seules particules du film qui te sont restées en mémoire. Les pires.

Ensuite, tu racontes que tu es restée des semaines à l’hôpital tandis qu’ils faisaient tout pour te faire recouvrir la mémoire, néanmoins malgré tous leurs efforts, tout ce qu’ils obtiennent après des mois de travail c’est ce que tu as écris dans ce journal. Et c’est tout ce qu’ils auront puisque ton cerveau semble fermer sous sceller à vie les autres fragments de ton histoire.

Après ces petits extraits, tu sembles plus heureuse. Ton écriture paraît moins lourde, et ce que tu vis semble plus léger. Cette période correspond aux cinq ans que tu as passés chez ta tante fofolle en Yougoslavie, à élever les moutons comme des nomades. Ces moments te semblent si lointain, désormais. Presque comme si la malchance ne voulait pas te lâcher, ta tante décède au bout de cinq ans chez elle d’une crise cardiaque te forçant à revenir dans ton pays natal, celui qui te fait si peur. En réalité, ce dont tu as peur, c’est que tous tes souvenirs te rattrapent et que tu croules sur ce qui semble être une malédiction à tes yeux. Pourquoi tu ne peux pas vivre simplement ?

Sans que tu saches réellement pourquoi, tu continues de lire ce récit qu’est le tien. Tu sais ce qu’il va se passer ensuite, tu étais là, après tout, mais tu ne peux relever tes yeux de ces pages couvertes d’encre tantôt noire, tantôt bleue. Une absence de trois mois se fait remarquer sur tes pages, celles correspondant à ton installation à Honolulu. Lorsque tu reprends le cours de ta vie couchée sur papier, tu as déjà ton boulot, ou plutôt tes boulots, à l’hôtel, ainsi que le bungalow dans lequel tu loges toujours. Visiblement, les galères financières semblent te poursuivre, puisque tu revois dans la Skye d’il y a cinq ans celle que tu es aujourd’hui. A savoir celle qui coure après l’argent tandis que ce dernier la fuit.

A force de lire toutes tes plaintes, tu as l’impression que tu vas passer par la fenêtre d’un moment à un autre, sauf qu’à ta grande surprise tu sembles changer radicalement de ton. Et ce changement intervient lorsque tu as commencé à voir Elliot. Elliot, celui que tu considères comme l’homme de ta vie. Et que tu viens misérablement d’envoyer paître il y a de ça vingt minutes. Tu te sens encore plus mal. Déboussolée, tu ne peux continuer ta lecture et ferme le calepin avant de le balancer violemment contre le mur et te mettre à pleurer, en position fœtale.

Tandis que tu sembles inconsolable à pleurer pendant une durée que tu ne saurais déterminer, tu entends la porte claquer et vois ton petit-ami. Tu lui sautes dans les bras ne voulant pas le lâcher jusqu’à ce qu’il te fasse, officiellement et en bonne due et forme cette fois, la demande que tu ne peux, que tu ne veux refuser. Après des années de merde accumulées, tu sens que la chance te souris, et tandis que tu étais trop occupée à t’apitoyer sur ton sort et pleurer sur tes malheurs, tu ne t’étais pas rendu compte que tu avais le bonheur à portée de main pendant tout ce temps.