Voilà maintenant un peu plus de quatre mois que j’avais perdu l’usage de mes jambes à la suite d’une chute dans les escaliers menant au sous-sol lorsque nous étions venus Maïke et moi mesurer l’ampleur des dégâts causés par la tempête. Au final, outre l’inondation du sous-sol, la maison n’avait rien eu ce qui nous avait permis de rentrer rapidement chez nous. Enfin pas pour moi qui avais dû passer quelques jours à l’hôpital avant de pouvoir rentrer chez moi. Lorsque j’ai su que je ne pourrais plus marcher, j’ai eu une sensation étrange, comme si tout s’écroulait autour de moi. Dès ce moment, j’ai perdu un peu le gout de la vie. Je ne veux plus rien faire, je passe mes journées à la maison à regarder la télévision alors qu’il n’y a rien d’intéressant soit dit en passant. Je ne partage plus rien avec ma femme, de tout façon je ne peux plus rien faire. Je ne joue plus avec mes enfants. Je suis présent juste physiquement, mentalement il n’y a plus personne. Et je sais bien que cela nous fait du mal à tous, je sais aussi que les enfants ne comprennent pas pourquoi je ne fais rien pour que tout s’arrange.

Ce matin, je devais garder Everleigh quelques temps pendant que Maïke était allée emmener Lexie et Christopher à l’école. Elle avait décidé d’emmener Liam et Noah avec elle afin que je puisse passer un peu de temps avec Everleigh. De plus, je ne me serais pas senti capable de garder Liam et Noah tout seul, étant donné les circonstances, ce n’était pas possible pour moi.  Alors que Maïke était partie, moi j’étais resté dans la chambre, dans le lit à regarder la télévision. La petite Everleigh dormait encore, mais je ne doutais pas une seconde qu’elle viendrait me rejoindre dès lors qu’elle serait levée car elle saurait pertinemment que j’étais là. Ça n’a pas loupé. Un petit moment après que Maïke soit partie, la porte de la chambre s’ouvrit et je vis alors ma petite fille. J’esquissais un sourire et la laissais venir s’installer près de moi. « Coucou princesse, tu as bien dormi ? » Je m’attendais à une réponse tout à fait banale de sa part, je ne m’attendais pas à ce qu’elle me pose une question de la sorte ensuite pour le coup. « Oui papa, j’ai bien dormi… Dis papa, pourquoi tu ne viens plus me réveiller avec des chatouilles le matin ? » Je me sentais vraiment mal pour le coup. Maintenant, Maïke n’allait plus être la seule à me faire des reproches. Je n’en voulais pas du tout à Everleigh de me demander ça, simplement je ne savais pas quoi lui répondre. Je prenais toutefois conscience que mes enfants se posaient des questions, j’en étais à me demander du coup s’ils ne pensaient pas que je ne les aimais plus ou un truc comme ça. Je prenais alors Everleigh dans mes bras. « Tu sais bien que papa ne peut pas marcher princesse…du coup je ne peux plus venir jusque ta chambre pour te réveiller avec tes chatouilles… » Je sentais mon cœur se serrer, finalement et si c’était mes enfants qui m’ouvraient les yeux et me poussais à ma battre bien que je n’en ai pas envie de peur de perdre mon temps ?! Je prenais ensuite la télécommande que j’avais posée sur la table de nuit. « Tu veux que je mette les dessins animés ? »

Je me souviens quand papa venait me réveiller le matin avec des chatouilles avant de me déposer à l’hôtel quand maman travaillait déjà. Je me souviens quand papa nous accompagnais dehors pour nous pousser à la balançoire ou bien qu’il jouait au ballon avec nous. Je me souviens quand papa nous partait sur ses épaules, nous faisait tourner et qu’on en redemandait. Je me souviens juste des moments où papa sortait du lit… Papa m’expliquait à nouveau qu’il ne pouvait plus marcher et donc plus venir me réveiller, mais je devais avouer que ça me manquait quand même de le voir arriver dans ma chambre et de le sentir me chatouiller pour que je me réveille vite. Maman réveille avec des bisous, c’est pas mal non plus hein ! Papa me demanda alors s’il pouvait mettre les dessins animés. « Oui je veux les dessins animés. Dis-moi papa, tu viendras ne plus jamais me réveiller avec des chatouilles ? Plus jamais tu joueras avec nous ? » C’est vrai que je n’ai que 3 ans, mais j’aimerais avoir une réponse, savoir si un jour ou non je retrouverais le papa que j’ai connu plutôt qu’un légume dépressif coincé dans son lit.

Depuis mon accident, je ne partageais plus rien avec personne, que ce soit avec ma femme ou avec mes enfants. J’étais devenu quelqu’un d’autre, j’étais devenu une personne que je ne connaissais pas et que je ne voulais pas continuer à être mais je ne parvenais pas à changer et redevenir celui que j’étais avant le drame. Je sentais les larmes me monter aux yeux à la remarque de ma petite fille, je m’en voulais de faire autant de mal à toute ma famille mais je n’arrivais pas à faire autrement, et c’était grave quand même. Je n’étais même pas fichu de faire des efforts pour ceux que j’aimais et ceux qui m’aimaient. Je changeais donc de chaîne afin de lui mettre une chaîne de dessins animés comme elle le voulait. Peu m’importait ce que je regardais, à force je n’écoutais même plus ce qu’il se disait, les programmes étaient totalement inintéressants c’était juste histoire de passer le temps avec une image et du son, sans pour autant que je sois concentré sur la chose. Je haussais les épaules, je me demandais si j’allais réussir à lui répondre. Je patientais donc quelques secondes le temps de me reprendre en main. Je me raclais la gorge avant de parler. « Je ne sais pas ma puce… Mais ça me manque de ne plus rien faire avec vous mais je ne sais pas si je pourrais remarcher un jour… donc peut-être que je ne pourrais plus jamais jouer avec vous… » Je pensais en moi-même que je ne faisais rien pour essayer de remarcher et qu’il serait finalement peut-être temps que je m’y mette. Peut-être que cela ne servirait à rien, que je n’aurai aucun résultat mais j’aurai au moins le truc de me dire que j’aurai essayé, et je ne resterai pas toute ma vie à me morfondre de ne pas pouvoir marcher en me disant que je n’aurai jamais essayé d’arranger les choses. « Je vais essayer…promis je vais essayer ! » Everleigh savait combien les promesses étaient sacrées, il ne fallait pas trahir une promesse. Maintenant que j’avais promis à ma fille d’essayer de remarcher, je ne pouvais plus faire autrement.