Il y a de cela deux jours maintenant, j’avais reçu un petit message de la part de ma meilleure amie, Wyatt. Il y a de cela même pas quelques mois, cela aurait été chose limite normale, mais là, c’était presqu’un évènement, compte tenu du froid qui habitait notre relation depuis quelque temps, c’est-à-dire depuis que j’avais osé lui parler du fait que je remettais en question mon homosexualité. Celle-ci, visiblement pas d’accord avec mes choix, me demandait maintenant de passer chez elle dès que j’aurais un moment. Surpris par cette demande, je ne lui avais pas répondu dans un premier temps – d’autant plus que j’avais reçu le message alors que j’étais sur le point d’embarquer pour un vol en direction de l’Est du pays et de ce fait, le téléphone était tout simplement proscrit – mais je n’avais pas cessé d’y penser, et chaque fois, j’en étais venu à me dire que je saurais ce dont elle voulait me parler seulement si je décidais de me pointer chez elle pour lui demander. Après tout, si elle me demandait expressément de passer à son logement, c’était parce que ça ne se discutait pas par téléphone et que par conséquent, et surtout connaissant ma meilleure amie, je ne pouvais pas simplement lui demander « Pourquoi ? », puisque jamais je n’aurais une réponse. Résigné, sitôt que je mis fin à mon service de quarante-huit heures et que j’eus posé les pieds en sol hawaiien. Rapidement, je pris mon téléphone dès que je le pus, et j’écrivis: « Prépare du café, j’arrive. » à ma meilleure amie, tentant de me convaincre que je pouvais lui répondre avec la même attitude que d’habitude, même si les choses avaient changé. Après tout, peut-être que ça avait fini par lui passer, nous avions quand même surmonté plus difficile que ça ensemble, preuve étant que sauf en cas contraire, nous étions toujours les meilleurs amis du monde. Puis, sans prendre la peine de repasser à mon appartement pour me changer, je me rendis chez mon amie, et sitôt sur le porche, je sonnai, reculant d’un pas en attendant une réponse.

Normalement plein d’assurance et surtout moi-même plus qu’avec quiconque lorsque je me trouvais en face de ma meilleure amie, je me retrouvai soudainement gêné lorsqu’elle ouvrit la porte, et encore plus lorsqu’elle me fit remarquer que j’aurais pu entrer sans frapper. Pourquoi ? Parce que sur ce point, elle avait raison, et je lui concédai silencieusement d’un petit sourire timide; habituellement, je rentrais sans aucun problème, m’annonçant délibérément en faisant beaucoup de bruit, et jamais cela n’avait dérangé Wyatt. Cependant, puisque les choses étaient fortes différentes maintenant, je n’avais même pas songé à faire comme d’habitude, parce qu’en ce moment, rien n’était comme d’habitude, en mon sens. Depuis cette fameuse discussion téléphonique qui avait tout changé, je ne savais plus vraiment comment me comporter avec elle, ayant cette impression qu’elle ne me regardait plus de la même façon, et cela me pesait, même si je n’osais pas nécessairement l’admettre pour le moment. De toute façon, je n’étais pas là pour ça, ou du moins, c’était ce que je pensais. Choisissant de ne pas y penser pour le moment, je pénétrai dans la demeure comme Wyatt me le proposa, puis je me rendis dans la cuisine en sa compagnie, n’allant quand même pas jusqu’à ne pas me sentir à l’aise dans la demeure, puisque là, ce serait carrément hypocrite de ma part. Et puis, je n’aurais pas eu l’occasion de constater qu’elle avait effectivement préparé du café, comme je lui avais demandé, limite imposé dans mon message. Ravi de ce fait, je lui souris plus chaleureusement, et en prenant la tasse, je lui dis : « Chaud, froid, il sera parfait. Merci. » Sans attendre plus longtemps, j’en pris une première gorgée, appréciant la chaleur que celui-ci me procura, même si cela eut pour effet de mettre un léger silence dans la discussion, que je ne sus pas briser immédiatement quand je reposai la tasse sur le comptoir. Cependant, j’étais bien conscient qu’il faudrait que je dise quelque chose, autrement, nous n’aurions pas fini de nous regarder – ou pire encore, d’éviter le regard l’un de l’autre – et puisque justement, Wyatt était ma meilleure amie, je ne pouvais pas juste me contenter de commenter la pluie et le beau temps avec elle. Enfin, pour le moment, ce n’était juste pas possible. Et puis, même si cela pouvait paraître déplacé, je ne me voyais pas lui parler tout banalement, lui demander comment ça allait et tout ce qui venait avec, parce qu’elle savait bien que si quelque chose n’allait pas, ou si, au contraire, elle avait une bonne nouvelle à m’annoncer, elle n’avait pas à attendre que je lui pose la question, je me résignai finalement à considérer la maison du regard, rapidement, et lui dire : « Aubrey n’est pas là ? », me disant que cette phrase avait beau être pathétique, c’était la seule chose que j’avais trouvée pour le moment, et cela ne me laissait pas très confortable, puisque je détestais tourner autour du pot et ça, Wyatt était probablement la première à le savoir.

Au moment où Wyatt me dit qu’Aubrey était avec son père, je ne fis qu’accuser réception de l’information d’un hochement de tête, ne voyant pas ce que je pourrais rajouter à la suite. Après tout, j’avais eu réponse à ma question, et celle-ci étant par pure curiosité, je n’avais rien à ajouter. De toute façon, j’avais pas mal d’autres choses en tête qui faisaient en sorte que je ne me voyais pas avoir une discussion pendant des heures sur ce que la fille de mon amie faisait, pourquoi elle était partie juste avec son paternel. En effet, je ne me moquais pas complètement du fait que Wyatt était seule chez elle aujourd’hui, supposant bien rapidement que compte tenu sa demande, et compte tenu du fait qu’elle avait profité d’un moment où elle était seule, alors que normalement, quand je passais chez elle et que sa fille était là, il n’y avait pas de soucis, bien au contraire, je commençais à me douter que mon amie devait me parler sérieusement. Légèrement inquiet, je ne sus pas quoi dire de plus pour poursuivre le semblant de discussion qui s’installait, mais je n’eus pas à le faire au bout du compte, puisque mon amie prit la parole de nouveau, me prouvant que j’avais visé juste; ce dont elle devait me parler était particulièrement sérieuse. Comment je pouvais en être aussi certain ? Puisque normalement, Wyatt et moi, n’avions pas de secrets ou de gênes l’un envers l’autre. Évidemment, compte tenu de nos dernières discussions, cela avait plutôt changé, mais je ne me souvenais pas de la dernière fois où elle m’avait limite demandé la permission pour aborder un sujet quelconque. Malgré ma confusion, je lui dis « À propos de quoi ? » prenant une gorgée de café pour tenter de dissimuler le fait que tout cela me stressait un peu, tellement que je commençais à me faire des idées par rapport à cette discussion. Voulait-elle me retirer mon rôle de parrain compte tenu de ce que je lui avais annoncé il y a quelque temps de cela ? Franchement, cette idée ne me plaisait pas du tout, mais après, elle était en droit de faire ce qu’elle voulait, même si je ne savais pas si je pourrais supporter un coup pareil.

Je ne savais pas si c’était parce que nous avions tellement de choses à discuter en ce moment, surtout en ce qui concernait mon potentiel changement d’orientation sexuelle – qui, pour Wyatt, n’était pas totalement nouveau, vu qu’elle savait ce qui s’était passé avec Camille. C’était surtout le fait que je songeais à l’assumer qui était plus tabou – mais au moment où celle que je ne pourrais jamais cesser de considérer comme ma meilleure amie, que nous soyons en froid ou non, me dit ce qui semblait la tracasser, la raison pour laquelle elle m’avait fait venir ici, j’eus l’impression que je venais de tomber de haut. À ce moment précis, j’aurais pu chuter de ma chaise à la renverse, cela n’aurait même pas été surprenant. Cela n’aurait pas été très drôle non plus, vu comment j’étais choqué et confus, mais bon, l’image était probablement la plus représentative de ce que je ressentais. Les yeux écarquillés, la bouche entrouverte, je considérai alors la jeune femme tandis qu’il me fallait un bon moment pour assimiler cette information. Pendant un instant, je crus même que j’hallucinais, que jamais elle ne m’avait dit une telle chose, parce que ce pan de ma vie, je l’avais momentanément oublié. Non pas que je n’avais pas aimé vivre cette histoire avec Wyatt qui, au final, avait fait en sorte que notre amitié était ressortie plus forte que jamais, mais parce que jamais je n’avais admis à qui que ce soit que Wyatt et moi avions conçu un fils, parce que dans ma tête, ce fils n’avait jamais existé, ou du moins, jamais je ne l’avais associé à ma personne. Mon amie, par contre, ne se gênait pas pour le faire, pour une raison qui m’échappait encore, et qui, soudainement, me parut urgente de savoir. Voilà pourquoi, lorsque je me remis ne serait-ce qu’un tout petit peu de mes émotions, je demandai à la jeune femme : « Mais… Pourquoi ? » Sans que je ne le contrôle vraiment, une petite grimace de dédain apparut sur mon visage, puisque dans les circonstances présentes, je ne voyais clairement pas l’intérêt d’entreprendre ces recherches. Visiblement, Wyatt avait un point de vue bien différent, et j’étais pas mal curieux, voire impatient de voir comment elle allait l’exposer.

J’avais demandé à mon amie et ancienne amante de m’expliquer pourquoi l’envie lui prenait de retrouver cet enfant que nous avions mis en adoption, à défaut de ne pouvoir clairement pas le garder, mais au fond, je n’étais pas certain que je voulais connaître la réponse. Je me doutais bien que ce n’était pas une envie qui lui avait prise comme ça, un signe de dépression post-partum un an et demi trop tard, mais quand même, je ne savais pas si je voulais le savoir parce que je savais que si son explication était valide, j’aurais bien du mal à jouer les insensibles et lui dire non. Parce que même si nous étions en froid, Wyatt et moi, elle restait ma meilleure amie, la personne de qui j’étais la plus proche. Il me serait juste impossible de jouer le méchant avec elle, même si elle, visiblement, n’avait pas de mal à me garder à distance de sa petite vie de famille pour le moment, depuis qu’elle connaissait mes doutes concernant mon orientation sexuelle. Cependant, puisque je ne pouvais quand même pas ravaler mes mots, il me fallut écouter son explication et exactement comme je m’y en attendais, elle n’était pas dénuée de sens, loin de là. Elle était loin de ce que je pouvais comprendre, raison étant que je n’avais pas d’enfant, ou plutôt, je n’avais pas d’enfant que je voyais grandir chaque jour, qui me rappelait constamment ce qui s’était passé il y a quelques années de cela. De ce fait, je ne pouvais pas simplement dire que je comprenais son point de vue, parce que la réalité était que non, je ne le comprenais pas, même si je me devais de l’accepter et m’interdire de dire que ça ne le faisait pas, ce que je fis en lâchant deux mots, soit: « Je vois… », visiblement incapable d’ajouter autre chose pour le moment. Pendant un bref instant, je préférai laisser les paroles de mon amie résonner dans ma tête, comme pour leur donner un véritable sens, ou bien trouver la faille faisant en sorte que je n’aurais pas avoir à confronter cette réalité que j’avais mise derrière moi il y a très longtemps. Puis, je repensai à cette comparaison qu’elle avait faite entre cet enfant et Aubrey, et je vins donc à dire: « Mais tu sais Wyatt, il n’aurait jamais eu la vie qu’Aubrey a… » Je me rendis compte qu’après que mes mots étaient quelque peu dénués de sens, et c’est pour cela que je crus bon d’ajouter, après avoir réfléchi un peu plus mes propos: « Ce que je veux dire, c’est qu’à moins que ton mari ait accepté de le prendre en charge, jamais nous n’aurions pu lui offrir la vie que tu offres à ta fille… Tu sais comme moi que nous n’étions pas voués à se marier, à avoir une vie bien rangée et tout ce qui vient avec… » Pour le coup, je me pensais réaliste, pas du tout vexant. Depuis longtemps, nous nous étions mis d’accord que Wyatt et moi, en couple, ça ne marchait juste pas. Et puis, mon amitié avec elle était trop précieuse pour que je la bousille, même si en ce moment, c’était tout ce que j’avais l’impression de faire et ce, bien malgré moi, malheureusement.